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AMP fishery-effects traduction
Les réserves marines, zones interdites de façon permanente à tous types de pêches, sont fréquemment présentées comme un outil de gestion des pêcheries. Les effets attendus de ces mesures de protection visent l’accroissement de la taille des stocks de reproducteurs, de la taille moyenne des individus, et de la capacité de reproduction des espèces exploitées. Les réserves sont sensées augmenter les captures grâce à l’exportation des progénitures, des excédents en juvéniles et des adultes depuis les réserves vers les zones de pêches. La préservation des stocks et la restauration de populations avec des structures d’âges élargies sont deux aspects mis en avant pour palier aux variabilités de l’environnement et à l’absence ou aux erreurs de gestion. Les modèles tendent à montrer que les réserves devraient réduire la variabilité interannuelle des captures, et autoriseraient une plus grande simplicité de gestion et d’application des réglementations. Les réserves devraient aussi assurer la restauration des habitats, notamment après les perturbations occasionnées par les engins de pêche, et ainsi améliorer les rendements des pêcheries.
De nombreux travaux scientifiques conduits in situ confirment plusieurs de ces hypothèses. Les réserves, à l’échelle mondiale, favorisent l’augmentation de l’abondance, de la taille, de la biomasse et de la production d’oeufs chez les espèces exploitées. Les valeurs augmentent souvent plusieurs fois, parfois avec un degré d’amplitude de 1 ou plus. La reconstitution des populations est en général assez rapide avec des effets mesurables après 2 à 3 ans de protection. Les améliorations mises en évidence ont tendance à se maintenir sur des périodes longues, en particulier pour les espèces à durée de vie longue et pour la restauration des habitats. De nombreuses espèces appartenant à des taxons d’importance économique (poissons, crustacés, mollusques et échinodermes) ont profité des mesures de protection de type réserves.
Suite à ces résultats, de nombreux pays et Etats ont pris des initiatives visant à établir des réseaux de réserves marines. Cependant, ces outils de gestion particuliers font l’objet de controverses chez les pêcheurs professionnels et dans le milieu de la pêche industrielle, qui prétendent que les bénéfices de ces mesures pour la pêche restent non prouvés. Au cours des trois dernières années, le nombre de cas relatant les effets bénéfiques des réserves sur les pêcheries n’a cessé d’augmenter. Dans ce rapport, nous analysons de façon critique ces nombreuses évidences, sur la base d’études menées sur l’établissement de réserves et la mise en place de périodes de fermetures à la pêche. Les gestionnaires ont souvent décidé de périodes de fermeture et de zones d’interdiction de pêche temporaire, pour protéger une ou plusieurs espèces ou pour réduire l’impact d’engins de capture spécifiques. Ces mesures ont été prises pour aider les stocks épuisés à se reconstituer, réduire les conflits liés à l’utilisation de certains engins, protéger des stades et cycles de développement vulnérables chez certaines espèces exploitées ou protéger des habitats sensibles contre les engins de pêche destructeurs. Les secteurs ayant bénéficié de ces mesures peuvent apporter beaucoup de réponses sur les effets potentiels des réserves marines.
Les bénéfices procurés par les réserves et la fermeture de zones de pêche augmentent rapidement, dans les cinq ans après leur création dans la plupart des cas. L’image la plus convaincante de l’effet des réserves sur les pêcheries est le changement des pratiques de pêche observé. Dans la plupart des secteurs où les zones de réserves et d’interdiction de pêche sont respectées, les pêcheurs ont tendance à recentrer leurs activités sur les zones frontières. “Fishing-the-line”, c’est à dire “pécher à la frontière/aux limites”, permet aux pêcheurs de bénéficier de l’excédent des animaux des réserves qui migrent vers les zones de pêche. Plusieurs cas de migration très documentés ont été mis en évidence pour plus d’une douzaine de pays et pour de nombreuses espèces. Cela revient, d’un point de vue plus technique, à détecter l’impact de l’exportation des progénitures par les courants océaniques sur l’amélioration des pêcheries. Les réserves actuelles sont plutôt de petite taille, rendant difficile la détection d’une augmentation du recrutement sur les zones de pêche à une échelle régionale. Cependant, il existe aujourd’hui plusieurs études confirmant le transport des larves et des oeufs à l’extérieur des réserves, notamment les résultats obtenus sur les rendements de la pêche aux pétoncles du “banc Georges” et aux palourdes aux Fidji. Les réserves créées sur des surfaces restreintes ont amélioré les bénéfices locaux de façon efficace et régulière. Toutefois, il semblerait que l’amélioration des pêcheries régionales nécessite un réseau de réserves plus étendu. Certains des succès les plus criants sont observés sur des secteurs dans lesquels 10 à 35% des zones de pêche ont été protégées. Dans plusieurs cas, les résultats montrent que les rendements obtenus suite à la création de réserves ont atteint des niveaux plus élevés qu’avant la mise en protection, malgré la réduction de la surface totale des zones de pêche. Dans d’autres exemples, des réserves de petites surfaces ont permis une stabilisation des prises dans des zones d’exploitation intensive et parfois la réduction des taux de déclin des stocks.
Nous décrivons des expériences qui prouvent que le succès des réserves marines n’est pas lié au type d’habitat, à la localisation géographique, au type de pêcherie impliqué ou au niveau de sophistication technologique des outils de gestion. Les bénéfices des réserves ne sont pas seulement restreints aux habitats comme les récifs coralliens ou aux pêcheries artisanales, comme certaines critiques le disent. Les bénéfices pour la pêche ont été démontrés dans des zones tropicales, tempérés ou froides, et pour de nombreux habitats, dont les récifs coralliens, les massifs rocheux, les forêts de Kelp, les herbiers, mangroves, estuaires, fonds sédimentaires, plateaux continentaux ou zones profondes.
L’efficacité des réserves marines et des périodes de fermeture à la pêche a été démontrée pour la pêche récréative, les pêches artisanales (comme celles pratiquées dans les récifs coralliens), avec des résultats sur les pêcheries côtières à petite échelle (visant des espèces comme les langoustes), jusqu’aux pêcheries de dimension industrielle (pour les poissons plats ou les pétoncles). Ces systèmes ont été mis en place accompagnés d’un large spectre d’outils de gestion sophistiqués et communs à tous les programmes, de la police locale assurée par des pêcheurs assermentés (avec des patrouilles de surveillance) jusqu’à la gestion assistée par satellite pour les activités de pêche au large.
Nous avons aujourd’hui des éléments solides montrant qu’avec l’assistance des communautés locales, les réserves marines offrent un outil de gestion extrêmement efficace. Cependant, les réserves seules apparaissent rarement comme l’outil de gestion adéquat, bien que nous décrivions des exemples où les réserves ont été mises en place en l’absence de tout autre mesure. Les réserves seront d’autant plus efficaces qu’elles seront mises en place accompagnées d’une limitation de l’effort de pêche, établies pour protéger les espèces exploitées ainsi que leurs habitats.